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Au Siècle des Poètes
6 août 2013

Anna de Noailles - L' Honneur de Souffrir

L’honneur de Souffrir, d’ Anna de Brancovan, Comtesse de Noailles, (1876 – 1933) a paru en 1927 et a connu de très nombreuses rééditions. Sur la couverture, une phrase tirée de l’Antigone, de Sophocle : « J’aurai plus longtemps à plaire à ceux qui sont sous terre qu’à ceux qui sont ici ».

 

 

I

 

 -  Dans l’âpre solitude où tu vis désormais,

Faut-il que jamais plus nul désir ne pénètre ?

 

-  Je suis seule, en effet, et suis digne de l’être.

J’habite la ténèbre où sont ceux que j’aimais.

 

-  Que fais-tu des vivants ?

-  Plutôt que de descendre

A des choix moins parfaits, je préfère les cendres.

 

-  Ne veux-tu plus goûter d’exaltantes saisons ?

-  L’instinct est un bonheur qui n’est pas la raison.

Pour l’esprit renseigné, comblé triste et lucide,

Tout est douleur. La mort a des sucs moins acides.

 

-  Pour supporter le jour, ou ne le point haïr,

N’est-il pas de plaisir dont tu veuilles jouir ?

 

-  La volupté contient les choses infinies :

La musique, les cieux, la gloire, l’agonie.

Mais ne recherchant pas d’éphémères essais,

Je veux gémir encor des plaisirs que je sais.

 

-  Rien ne fléchira donc ta plaintive exigence,

O corps plein de savoir, esprit plein de refus ?

Ne te reste-t-il rien du trésor que tu fus,

Et que tu répandais, même par négligence !

Rien ne te reste-t-il ?

-  Non, rien. L’intelligence.

 

 

II

 

Ainsi la vie simple et savante,

L’exaltante splendeur des cieux,

Nos regards qui jouaient entre eux,

Notre loyauté, ma constante

Tendresse, mon cœur soucieux

De toi, dont j’étais dépendante,

-  Puisque tu me laisses vivante

Alors que se sont clos tes yeux,

 

 

III

 

Chaque jour j’entends qu’en silence

Se détache insensiblement

De mon être quelque élément

Dont se composait ma puissance.

 

Chaque heure dérobe à mon sort

Un peu du radieux mystère

Que mon orgueil n’a pas su taire,

Et qui fit mon nombreux essor !

 

Je sens, à toutes les minutes,

S’élancer de mon cœur secret

L’agile joueuse de flûte

Dont le mouvement t’enivrait,

 

Et, tandis que sur l’humble rive

Je semble retenue encor,

Je cours, frustrant les cœurs qui vivent,

Vers l’allégresse de la mort !

 

 

« A ma chère amie Mademoiselle Weimann

dont l’intelligence et le cœur me sont également chers -

et qui sait toute mon affectueuse gratitude.  Anna de Noailles »

 

(collection LB)

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  • Par les pages jaunies de leurs recueils, parfois inconnu(e)s ou oublié(e)s, j'ai souvent l'impression que ces femmes et ces hommes me parlent à travers le siècle. Je les entends, je les écoute, au hasard des rayonnages de ma bibliothèque encombrée...
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